Cet élégant jeune-homme est le dernier roi Valois, Henri III. Il a succédé à son frère, le tragique et sanglant Charles IX, en 1574, et il s'est retrouvé à la charge de la plus terrible guerre civile que la France ait jamais connue: la guerre de religion entre catholiques et protestants. Inutile de revenir en détails sur cette guerre (le propos n'est pas là), qu'il me suffise de dire que, deux ans après la nuit de la Saint-Barthélémy (24 août 1572), la France est plus divisée que jamais et que la Couronne vacille sur sa base... les rois de France sont catholiques, mais devant l'ampleur du phénomène protestant (présent en particulier dans les milieux nobiliaires) ils doivent composer et essayer de trouver des compromis acceptables. C'est ce qu'a tenté de faire pendant des années Catherine de Médicis, mère des deux précédents rois, mais sa terreur de voir les complots arriver jusqu'à la Cour associée à sa foi l'a conduite à pactiser avec les ultra-catholiques, dont leur chef, Henri, duc de Guise. Henri de Guise incarne un idéal chevaleresque: grand, costaud, séducteur, plus fine lame du royaume, il exibe fièrement sa balafre qui lui vaut son surnom. Il est surtout convaincu d'une chose: un bon protestant est un protestant mort... C'est lui qui a organisé dans les moindres détails la nuit de la Saint-Barthélémy: il a tué en personne l'amiral de Coligny et n'eut été un ordre formel du roi il en aurait fait de même avec Henri de Navarre (qui a dû se convertir contraint et forcé). En s'alliant avec lui, Catherine de Médicis sait qu'elle est tributaire à vie de cette faction, mais en 1574 elle reprend espoir avec l'arrivée de son troisième fils sur le trône..
Pourtant Henri III ne paye pas de mine et va entretenir toute sa vie (et même après...) une réputation paradoxale: son extrême rafinement, son hyper-sensibilité, sa dépression chronique, les règles bizarres qu'il impose à son entourage (qui sont en fait un bon moyen de le contrôler et d'augmenter le statut sacré de la personne royale [ce rituel de la Cour sera poussé à son paroxysme sous Louis XIV mais les bases se trouvent à cette époque]) lui donnent parfois la réputation d'être un bouffon seulement capable de crises de colère. De même, s'il ne déprécie pas la compagnie des femmes, il s'est entouré d'une cohorte de jeunes hommes aussi raffinés que lui qui porteront le nom historique de "Mignons": preuve d'une homosexualité assumée (comme 90% d'entre nous il est bi, mais il préfère manifestement les hommes). Seulement cette apparence est trompeuse et Catherine sait, elle, ce qu'il en est: Henri III est le meilleur de ses fils, très conscient de sa fonction, fier, et d'une intelligence politique redoutable...
De fait il tente pendant le début de son règne de pratiquer une politique équilibrée: il ne cache pas son catholicisme mais se veut un souverain réconciliateur; et ça, ça ne plait pas, pas du tout, au duc de Guise et aux ultra-catholiques. Ce petit roi efféminé, qui fait autant de concessions aux huguenots, qui ne sait pas se battre, n'est pas digne du trône de France! Les ambitions du duc de Guise, attisées par une antipathie absolue que se vouent les deux hommes, le conduit au fil des années à ne plus cacher ses ambitions: ce qu'il veut, c'est la couronne et il sait qu'il peut compter sur une ville totalement acquise à son charme: Paris! Aussi il fomente des inurrections de plus en plus sérieuses pour ensuite s'imposer comme le réconciliateur: il veut être roi et il s'en cache de moins en moins... En juillet 1588 tout s'accélère: Paris, fanatisé, se révolte contre le pouvoir royal! Les gardes gascons, les plus fidèles hommes d'Henri III, sont encerclés quand le duc de Guise intervient et dans un geste chavaleresque soigneusement préparé en vue de son image qui lui vaut un délire populaire, il lui épargne la vie: le roi est contraint de s'enfuir de nuit.
Pour le duc de Guise tout est prêt: il impose à Henri III de réunir le Etats Généraux ce que le roi est contraint de faire en octobre 1588. Henri III réussit néanmoins à déplacer" cette réunion afin qu'elle ne se tienne pas à Paris mais à Blois: le duc de Guise accepte, persuadé que son plan ne peut pas connaître d'échec. Pourtant les indices ne manquent pas du côté de l'Europe qui auraient peut-être dû alerter le duc que le vent commence à tourner...
La France est en fait un concentré des guerres de religion: elle est civile dans le pays mais deux autres puissances sont également concernées: l'Espagne du catholique intégriste Philippe II et l'Angleterre de la protestante Elisabeth 1ère (la fille d'Henry VIII). Or en 1588 l'Armada vient d'être passée par le fond: l'Espagne perd sa puissance et devient une nation comme les autres: le début seulement d'une longue chute. L'intelligence politique d'Elisabeth a prévalu sur l'intégrisme et la volonté de miracle de Philippe II (veuf de Mary la sanglante): étrange passation de pouvoir au moment où en France la situation est sur le point elle-aussi de basculer...
La réunion des Etats Généraux commence et le souci est pour Henri de Guise de pousser le roi à abdiquer en sa faveur: aussi il l'humilie publiquement en prétendant le défendre, lui donne la parole quand il ne la prend pas à sa place, s'assure au grand jour le soutient des nobles qu'il tourne un par un vers lui. Henri III laisse passer la pilule, bouilllonne de rage mais ne montre rien, pas encore!.. Il refuse néanmoins de se départir de la couronne: la réunion commence à trainer en longueur. Le roi est patient: il sait que le temps joue pour lui... Les députés du Tiers, eux, sont de plus en plus remontés: la trahison de deux d'entre eux pousse certains à aller parler au roi et à lui assurer de leur total soutient; ils se permetttent même de le menacer: s'il abdique en faveur de Guise, eux n'accepteront jamais le duc comme roi et il y aura des révoltes! Le roi n'attendait que ça: ses sujets (la plupart en tout cas) lui sont vraiment fidèles: il ne voulait à aucun prix risquer un déchirement du pays mais désormais il sait que ce n'est qu'une faction qui s'oppose à lui: il peut vaincre une faction, il ne voulait simplement pas condamner le pays pour sa seule ambition fut-elle légitime... Alors il organise tout, courbe l'échine lors des réunions, prépare l'Acte de son règne. Dans le matin brumeux du 23 décembre 1588, Henri III convoque le duc de Guise dans son privé. Le duc arrive, confiant après une bonne nuit de ripailles et de sexe (fait avéré); une fois sur place, ses proches sont retenus dans une pièce par quelques gardes, le duc monte des esqliers, traverse quelques chambres vides, monte enfin un escalier...et les cent gascons de la garde personnelle du roi lui donnent l'assaut! Fine lame, favorisé par l'étroitesse des escaliers, le duc de Guise se défend comme un lion mais la retraite est coupée; sept gascons sont tués, trois autres blessés, mais arrivés dans la chambre du haut le duc perd son avantage, est blessé à plusieurs reprises, tombe à terre; le capitaine des gardes _qu'il avait humilié quelques mois plus tôt et qui avait largement participé à l'assaut au milieu de ses hommes_ le transperce de son épée. Sa fabuleuse constitution retardera de plus d'une heure la mort d'Henri de Guise, le traitre qui voulait devenir roi. Et derrière Henri III jouera parfaitement de l'effet de surprise: les députés, pétrifiés et stupéfaits, l'écouteront sans piper mot imposer ses conditions, ses lois, sa volonté, et tous lui jureront fidélité: un acte royal pour un roi hors du commun!..
Derrière il s'agissait de vaincre une dernière fois: Paris entrait en révolte. Henri III y mit alors le siège aidé par son cousin protestant Henri de Navarre mais le 2 août 1589, alors que la capitale tombait, il était assassiné par le moine fanatique Jacques Clément. Dans ses dernières heures il se montra une nouvelle roi jusqu'au boût: imposant à ses sujets Henri de Navarre comme successeur. Il lui recommandera juste de se convertir au catholicisme...ce que ce dernier ne fit pas. Une nouvelle vague de guerres se déclanchera qui dureront quatre ans, jusqu'à ce qu'Henri IV se rende enfin compte de la nécesité politique de se reconvertir au catholicisme: quatre ans de gâchés qu'on a tendance à oublier dans la vie du "Vert Galant", préférant retenir le seul Edit de Nantes de 1598. Mais que ce soit clair: sans Henri III cet édit n'aurait jamais pu voir le jour.
Vous aurez je pense compris l'importance des Etats Généraux dans l'Histoire de France, ainsi que la défiance des deux premier ordres vis à vis de cette réunion... Mais je m'arrête ici car il est temps de revenir _enfin!_ sur les événements de 1789 et de commencer pour de bon l'histoire de notre pays. Mais qu'une chose soit bien claire: au moment où les cahiers de doléances sont rédigés, les députés élus, les premiers doutes évoqués, personne ne se doute de ce qui est en passe de se passer. Le roi n'a rien à craindre pour sa Couronne et, quelque part en Corse, un petit lieutenant d'artillerie ne se doute pas que dans dix ans un pays tout nouveau sera à lui et lui confiera la terrible tâche de le sauver du reste du monde...