Des débuts prometteurs...mais difficiles
Dès sa deuxième course, Jochen Rindt réussit un coup d'éclat sensationnel: il s'impose à Crystal Palace, se permettant de devancer le grand Graham Hill dans son fief!.. Les débuts en Formule 1 sont plus hésitants mais les professionnels, pilotes, et autres spécialistes de la course sont unanimes: le garçon a du talent. Il confirme l'année suivante en remportant les 24 Heures du Mans et en s'affirmant comme un pilote très rapide, technique, offensif, qui se révèle particulièrement redoutable sous la pluie... Mais, malgré une première saison complète dans la catégorie reine dès 1965 et une excellente troisième place au classement général dès l'année suivante, Rindt reste un peu en dedans et n'arrive pas donner sa pleine mesure au moment de se frotter, dans son royaume, au gratin de la vitesse mondiale. Peut-être est-ce dû au manque de fiabilité du matériel: la Cooper Car Company, où il a signé en 1965, a des voitures trop lourdes dont les moteurs ne vont pas aller en s'arrangeant au fil du temps. Mais peut-être son caractère n'y est-il pas étranger non-plus...
Jochen Rindt est arrivé dans les paddocks avec sa personnalité franche et colorée, ses tenues excentriques (il n'hésite pas à porter fourrures et autres pantalons roses) et son agaçant talent dans à peu près tous les domaines de ce sport. Or, même si, à l'époque, la porosité était énorme entre les différentes catégories (il était très fréquent que les pilotes et leurs équipes concourent à la fois en F1, en F2, et dans les courses de fond), la Formule 1 demeurait la propriété dans anglo-saxons avec, en seigneurs de céans, d'une part l'anglais Graham Hill, le roi de Monaco (où il a remporté cinq Grand Prix), plein de maîtrise et de courage et dont la moustache "so british" faisait la légende; d'autre part l'écossais Jim Clark, le virtuose des circuits, à la classe insolente et au talent pur tel que beaucoup voient en lui le successeur naturel de Fangio (pratiquement son égal). Les deux hommes ont en commun un flegme et une classe toutes britanniques, particulièrement Clark, fils de paysan, homme humble et extrêmement discret en dehors des circuits (en comparaison Hill aime davantage les paillettes...). Les autres figures des paddocks sont quasiment tous des anglo-saxons, la plupart pleins d'expérience, comme John Surtees, Denny Hulme, et surtout l'australien Jack Brabham, pilier de ce petit monde dont l'exploit le plus invraisemblable est d'avoir réussi, après deux titres pilote en 1959 et 1960, à créer sa propre écurie...et à remporter
une nouvelle fois le championnat du monde, en 1966.
Le cas Brabham est caractéristique d'un autre point de la course automobile des années '60: les constructeurs sont souvent des self made men qui ont réussi à créer de toutes pièces leurs voitures avec des moyens basiques souvent dérisoires... Le plus talentueux de tous est, sans aucun doute, Colin Chapman, créateur de la légendaire écurie Lotus dont les voitures, ultra-rapides, font des ravages sur les circuits. Ultra-rapides...mais dangereuses... Car la mort est omniprésente dans le milieu, à cette époque, et les pilotes ont rarement leur mot à dire quant à la sécurité de leurs véhicules. Jim Clark est le premier à commencer à s'en occuper après son deuxième titre mondial, en 1965. Mais, protégé de Chapman avec qui il entretient une relation quasi-filiale, il ne l'ouvre pas trop.
L'arrivée de ce gosse de riches autrichien au caractère flamboyant qui prétend se mêler de tout ne fait donc pas que des heureux et Rindt se voit, pour la première fois de sa vie, confronté à une vraie hostilité, particulièrement de la part des constructeurs et des responsables des circuits qui font la pluie et le beau temps dans les paddocks et les journaux spécialisés. Pourtant, il n'est pas, loin s'en faut, rejeté par tous: les pilotes, particulièrement _ qui le côtoient régulièrement _, l'apprécient très vite: il est drôle, bigrement talentueux, intelligent, et bien moins snob que l'apparence qu'il se donne. C'est principalement la nouvelle génération, résolument moins "aristocratique", qui le bade: aussi sûr de lui soit-il, Rindt n'a aucun préjugé de classe et vit sa jeunesse à fond, comme tous ces pilotes qui n'arrivent toujours pas à sortir de l'ombre oppressante de leurs aînés... Cette nouvelle génération, qui soit piaffe dans l'antichambre des catégories inférieures, soit est déjà sur les circuits de Formule 1 mais qui n'arrive pas à décrocher de vrais résultats, c'est Ronnie Peterson, François Cevert, Bruce McLaren, ou encore Emerson Fittipladi (plus tard, mais considérés comme faisant partie intégrante de cet âge d'or, nous aurons les Mario Andreti, les Jody Sckekter, les Roger Williamson, les James Hunt et autres Niki Lauda). En lien entre les deux, il y a deux hommes: le belge au visage d'ange Jacky Ickx, protégé de Ferrari et homme "du système"; et le gentleman écossais, grand ami de Clark, Jackie Stewart.
Si 1967 est, sur le plan sportif, une année pourrie pour Jochen Rindt (en tout cas en F1 car il brille encore dans les catégories inférieures), elle est néanmoins déterminante dans sa vie d'homme: il se fait, ou plutôt consolide, deux amitiés très fidèles qui ne le quitteront plus: un brillant manager de chez Cooper qu'il amène avec lui chez Brabhams _ où il est transféré à la fin de l'année _ et...Jackie Stewart avec qui il s'entend à la perfection malgré leurs caractères radicalement opposés. Mais surtout, en début d'année, le chemin de Jochen croise de nouveau celui de Nina. Presque par hasard. Mais, entre eux, la flamme se ranime très vite... Depuis leur séparation, ils ont changé: elle est plus patiente, plus conciliante; mais c'est surtout lui qui a changé: la gloire et la renommée lui ont, paradoxalement, apporté la modestie et il est, dans le privé, beaucoup plus attentionné, beaucoup moins "cassant", beaucoup plus à l'écoute. Leur passion, apaisée, est devenue un véritable amour, sincère et réciproque. Ils se marient en fin d'année et l'arrivée de ce superbe mannequin dans les paddocks ne tarde pas à faire les gros titres de la presse people. Mais la notoriété n'est pas ce que recherche Jochen Rindt: lui, il veut des résultats, des titres, et il semble que le chemin lui soit barré pour un moment, à lui et à tous les membres de la nouvelle génération... Tout va changer, de façon tragique, le 7 avril 1968...